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Lucy Kloeck, maman malvoyante et professeure de musique

Lucy est une jeune maman, très malvoyante, atteinte d’une  amaurose congénitale de Leber (dégénérescence de la rétine). Passionnée par la musique, elle a décidé à l’âge de 18 ans d’en faire son métier.

Quel a été votre parcours ?

La maladie de Leber est une maladie qui cause une perte de vision progressive. Par exemple, à l’école primaire, j’utilisais des agrandis en format A3 et puis ensuite en secondaire, je suis passée à l’écriture braille. En primaire, j’ai suivi l’enseignement ordinaire dans l’école de mon village avec l’aide d’accompagnateurs à raison d’une fois par semaine. Pour parfaire ma connaissance du braille et aussi développer l’utilisation de la canne blanche, j’ai suivi les quatre premières années du secondaire en internat dans l’enseignement spécialisé. Le rythme était plus lent et un peu plus détendu. Je suis retournée dans l’enseignement ordinaire en 5e et 6e secondaire mais comme nous avions déménagé, je n’ai pas pu revenir dans l’école de mon village. C’était plus compliqué de s’intégrer avec des adolescents qui n’étaient pas sensibilisés à la déficience visuelle et aussi plus compliqué de reprendre un rythme plus soutenu.

Depuis quand jouez-vous de la musique et comment avez-vous appris ?

J’ai commencé à apprendre à jouer du violon vers l’âge de 9 ans. Mon professeur a utilisé la méthode Suzuki. Selon cette méthode, on apprend à jouer à l’oreille avant de connaître les règles de solfège. Des chiffres symbolisant les doigts ou les cordes à employer sont placés au dessus des notes des partitions pour dévelop­per la mémorisation. Au fur et à mesure, on enlève les chiffres. J’utilisais pour cela des partitions agrandies. J’ai appris aussi la guitare lorsque j’étais en internat. Une ergothérapeute apportait sa guitare pour nous apprendre, pendant son temps libre, quelques accords basiques d’abord, de plus en plus compliqués ensuite. A l’âge de 18 ans, j’ai eu la sur­prise d’être admise à l’Institut Lemmens de Leuven pour poursuivre des études supérieures dans la mu­sique. J’y ai appris le piano, le chant, la flûte à bec et les percussions. En 3e année, j’ai choisi de me spéciali­ser dans la musicothérapie. Je me passionne aussi pour la musique ancienne, la musique baroque (mais pas les œuvres symphoniques du romantisme tardif) et la musique atonale.

Pourquoi avoir fait de la musique un métier ?

Il faut être honnête, le choix des métiers possibles quand on est déficient visuel, est plus restreint. Bien sûr, j’aurai pu étudier la médecine mais je n’aurais pas su quoi en faire et surtout pas la pratiquer (rires). Et puis, je ne me voyais pas dans un boulot administratif. C’est donc tout naturellement que j’ai choisi la musique et ainsi vivre de ma passion. Mais pas en tant qu’artiste. Je ne peux pas jouer dans un orchestre     professionnel car il faut avoir de bons yeux. Pour jouer comme soliste, le niveau est très exigeant. J’ai donc commencé ma carrière en donnant des cours de musique en 1re et 2e secondaire. C’était très chouette mais aussi très lourd de gérer des classes de plus de 20 étudiants. Depuis 10 ans, je travaille à Leuven dans une académie de musique qui propose des cours de solfège et de culture musicale pour des enfants aveugles et malvoyants.

Comment se passent les leçons ?

J’enseigne essentiellement à des enfants déficients visuels mais cela m’arrive de donner cours à des élèves qui ont plus de difficultés à apprendre le solfège. Je travaille soit individuellement avec l’élève, soit en petits groupes. Pour cela, nous utilisons des manuels transcrits en braille ou en grands caractères. Les élèves peuvent aussi apprendre à l’oreille. En règle générale, on travaille un peu moins car on prend plus le temps d’aller en profondeur. J’aide mes élèves à apprendre par cœur. Pour l’apprentissage des rythmes, j’ai développé un système tactile basé sur des briquettes de Lego. Chaque valeur rythmique correspond à une briquette si bien que les élèves peuvent les recomposer facilement en les disposants sur une plaquette de Lego.

Pensez-vous que les déficients visuels ont un sens de l’audition plus développé ?

Non, je ne pense pas. En tant que déficient visuel, nous nous concentrons sans doute plus que les autres mais avoir l’oreille musicale est une toute autre chose. J’ai déjà eu des élèves déficients visuels qui chantaient très faux (rires).

Plus de portraits ? Visitez le blog des Amis des Aveugles et Malvoyants.